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Contributions individuelles

150ème anniversaire de la Commune, le drapeau rouge

Nous fêtons cette année le 150ème anniversaire de la Commune de 1871. Cette révolte annonçait la possibilité d’un autre monde, celle-ci résonnait et résonne encore dans les esprits comme l’annonce du premier gouvernement ouvrier au monde, sa première république, la naissance d’un espoir, l’expression cependant inachevée d’une volonté populaire, un rêve fou : une aspiration communiste.

Un espoir partagé par l’ensemble de la classe ouvrière mondiale. De nombreux révolutionnaires lui rendirent hommage, Marx, Lénine, Rosa Luxemburg, Karl Liebknecht… Ils la saluèrent comme l’enseignement à retenir pour les révolutions ouvrières à venir. Elle donna, avec celle de 1789, tous les outils nécessaires à celle de 1917. “La cause de la Commune est celle de la révolution sociale, celle de l’émancipation politique et économique totale des travailleurs, celle du prolétariat mondial. Et en ce sens, elle est immortelle“, dit Vladimir Ilitch Lénine. Elle ouvrit des perspectives innombrables, utiles à la classe ouvrière naissante. L’essor capitaliste, conduisait les travailleurs français vers l’exploitation moderne et ses souffrances, vers les guerres mondiales, les colonisations, mais fort heureusement aussi, vers la conscience de classe. La Commune s’inscrit dans la longue liste des révoltes et révolutions que le monde a vu naître. Il nous faut donc pour fêter comme il se doit son anniversaire, situer cet évènement dans le temps et l’espace, et tenter de retracer sa trajectoire, retrouver les moments où tout aurait pu échapper à la bourgeoisie.

La France était en retard dans le développement industriel comparé à l’Angleterre. La bourgeoisie anglaise avait impulsé son développement quelques décennies plus tôt, à la fin du XVIIIème. En France ce fut au début du XIXème et en Allemagne, au milieu du siècle. Ce processus de développement poussa le monde agraire et artisanal, majoritaire en France, vers une économie commerciale et industrielle, stimulée par le boom des transports ferroviaires des années 1840-1850, bouleversant l’agriculture, remettant en cause les concepts politiques, législatifs environnementaux et sociétaux. Ce bouleversement enflamma les consciences dans la classe ouvrière naissante. Les courants égalitaires des sans culottes de 1789 que la bourgeoisie, avec tant de cruauté et de zèle, avait réduit au silence et à la clandestinité en 1794 et 96, renaissaient. Inspirés des Enragés, organisateurs des révoltes ouvrières, composés en partie de Sans-culottes proches des Montagnards, dont les représentants portaient les revendications, ainsi le Manifeste des Enragés de Jacques Roux, véritable plaidoyer contre la pauvreté, les accaparements et l’agiotage, et surtout contre la propriété privée. Ils furent les protagonistes de l’élaboration idéologique communiste de l’époque. La Commune de 1871 s’inscrivit dans cette logique.

La chute de Robespierre, le 27 juillet 1794, entraîna de facto la gauche révolutionnaire dans la défaite. Elle fut suivie en 1796 par celle du club du Panthéon fermé par Bonaparte le 27 février. Très proche de ce club et des Sans-culottes, Gracchus Babeuf publiait le journal Le Tribun du peuple. Il fut comme Buonarroti et Darthé un des initiateurs de la Conjuration des Égaux de 1796 dont les idées fondamentalement communistes sont gravées dans le Manifeste des Égaux. Celui-ci revendiquait un changement radical de société avec des réformes ambitieuses comme : l’abolition de la propriété privée, la collectivisation des terres et des moyens de productions… Ils luttèrent pour le retour à la constitution de 1793.

C’est ce courant social que nous suivons jusqu’en 1871 dans la Commune incarnée, entre autres, par Louise Michel et Auguste Blanqui. Passons sur les années Napoléon 1er, Louis XVIII et Charles X, qui offrirent leurs comptes de massacres, rappelons tout de même que Bonaparte utilisa contre les travailleurs tous les arsenaux répressifs par l’intermédiaire du « mitrailleur de Lyon », le tristement célèbre Joseph Fouché. Chateaubriand nous apprend que plus de cinq millions de françaises et de français périrent de l’orgueil Napoléonien. Ce qui n’empêcha pas celui-ci de protester contre le traitement que les Anglais lui réservèrent sur la route de Sainte-Hélène ! Nous retrouvons donc ces courants communistes en 1830, et par la suite en 1848 lors de la révolution de Février. Il nous faut aussi saluer la parution du Manifeste du Parti Communiste de Marx et Engels. La Monarchie de Juillet est à bout, le cadre social aussi, le mécontentement est latent. La crise politique et économique s’aggrave. L’expression des travailleurs est limitée depuis juin 1791 par la loi Le Chapelier interdisant tout groupement professionnel des maîtres comme des ouvriers. Elle sera abrogée le 25 mai 1864 par la loi Ollivier, abolissant le délit de coalition. Il faudra attendre mars 1884 pour que la 3ème République par la loi Waldeck-Rousseau autorise les syndicats.

Nous arrivons donc, après quelques désolants raccourcis, à notre histoire. 1852 inaugure le Second Empire.  La bourgeoisie libérale se redresse, la classe ouvrière commence à se remettre de la terrible saignée de juin de 48, l’opinion publique se réveille. La doctrine sociale de l’Empereur prend forme dans les lois instituant les conseils du prud’homme en 53 et révisant le régime du livret de travail en 54, plus quelques mesures plutôt paternalistes : création de monts-de-piété, sociétés de bienfaisance, logements ouvriers, subventions aux sociétés de secours mutuels. Pour une partie de la classe ouvrière la feinte opère. En contribuant à porter le prince Louis-Napoléon à la présidence de la république (10 décembre 1848), la classe ouvrière pense prendre une revanche sur la bourgeoisie, ces massacreurs de juin 48. Mais c’est bientôt la douche froide, avec le coup d’État du 2 décembre 1851… En violation de la constitution, Louis-Napoléon s’accroche au pouvoir en dissolvant l’Assemblée Nationale, et l’empire est rétabli le 2 décembre 1852.

Pensant la classe ouvrière endormie, la monarchie invite ses représentants à l’Exposition Internationale de Londres en 1862, où les délégués français avec leurs camarades britanniques font le bilan des conquêtes sociales arrachées par l’action syndicale, ce qui ouvre en 1864 la perspective d’une association internationale des travailleurs qui ferait du prolétariat mondial une grande armée du travail. En 1863, l’opposition prolétarienne s’organise à l’occasion des élections législatives. Le Manifeste des 60 soutient à Paris la candidature ouvrière indépendante, distincte de l’opposition de gauche, et fait entendre une voix nouvelle. Elle dénonce les conditions d’exploitations des travailleurs et surtout l’imposition de lois d’exceptions, méthodes largement utilisées de nos jours, états d’urgences multiples, sanitaires et sécuritaires… ces lois ont alors, comme aujourd’hui, comme seul intérêt que de museler la classe ouvrières et ses organisations. “Nous, qui n’avons d’autres propriétés que nos bras, nous qui subissons tous les jours les conditions du capital, nous qui vivons sous les lois exceptionnelles (…) nous qui refusons de croire que la misère soit d’institution divine“ déclare le Manifeste des 60.

Au fil des conflits les prolétaires voient se dresser contre eux l’État Bonapartiste entravant l’émancipation sociale. Là aussi comment ne pas faire de lien entre la répression des luttes ouvrières et sociales d’aujourd’hui !? Ainsi l’Internationale, minorité ouvrière orientée à ses débuts vers le mutualisme et la coopération, devient en quelques années une organisation de masse, combative, ouverte à une lente imprégnation Marxiste. Proudhon est mort en 1865 et les premiers écrits de Marx vont commencer à pénétrer en France, diffusés par l’intermédiaire de Lafargue auprès de personnalités du mouvement prolétarien telles que Blanqui, Tridon, Frankel… La politique de l’Empire se heurte à de multiples difficultés. La Prusse écrase l’Autriche en 1866. L’expédition coloniale au Mexique, engagée en 1861, est un fiasco. Il faut rappeler le corps expéditionnaire en 1866. La pression républicaine s’amplifie, l’Empereur fait de nouvelles concessions. Les journaux cessent d’être astreints à l’autorisation préalable et au droit de timbre, les réunions publiques sont autorisées mais sous surveillance policière. Au plébiscite sur les réformes constitutionnelles de 1870, le oui l’emporte en confortant l’Empereur. L’Internationale ouvrière réfractaire à ce vote est emprisonnée. Le mois de décembre 1869 donne le jour à la Chambre Fédérale des sociétés ouvrières. Ce vivier révolutionnaire qui revendique le partage de la terre, la socialisation des moyens de production, l’égalité politique et sociale, chère à la République de 1792, est très nettement influencé par l’Internationale ouvrière Marxiste, dont l’aphorisme reste : « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ».

Malgré les manifestations de milliers de travailleurs, la guerre est déclarée à la Prusse le 19 juillet 1870. Bismarck veut la guerre lui aussi. Il pense qu’elle assurera l’unité allemande par l’hégémonie prussienne. L’armée française est désorganisée, sous-équipée, on voudrait perdre qu’on ne s’y prendrait pas autrement ! Car l’ennemi n’est pas tant Guillaume de Prusse que la classe ouvrière menaçant les intérêts capitalistes. Voyant la défaite arriver, la classe ouvrière bouscule la gauche républicaine. Le 6 août au soir la nouvelle tombe : l’armée est enfoncée, les défaites de Woerth et Forbach sont rendues officielles, Paris est menacée. L’Alsace et la Lorraine sont envahies. De douteuses manœuvres en trahisons, le but est enfin atteint, l’Empereur capitule à Sedan le 2 septembre 1870. La nouvelle fait l’effet d’une bombe et le 4 septembre le peuple, dans la rue, réclame la déchéance et la République. La gauche républicaine tente de reprendre la main dans la précipitation, et tarde à répondre favorablement. Blanqui écrit : “au fond de cette guerre extérieure, il y a surtout la guerre intérieure. C’est le dedans qui décide du dehors. Le capital préfère le roi de Prusse à la République. Avec lui, il aura, sinon le pouvoir politique, du moins le pouvoir social“.

Il n’est donc pas très utile de s’éterniser sur des intrigues répugnantes de duplicité. Venons-en aux faits : Trochu, Favre, Ferry et Simon, « les quatre Jules », forment le gouvernement provisoire (improprement nommé « de défense ») le 4 septembre 70, qui entrevoit la victoire Allemande comme une « divine providence » comme le fera quelques décennies plus tard Pétain avec Hitler. Car vous l’aurez compris, l’idée est que “le gouvernement provisoire a empêché la démagogie de prendre la défense de Paris (sic) et de produire dans la France entière un immense bouleversement social“. Le 26 février 71, le préliminaire de paix est signé. Puis les événements se précipitent.

La révolte gronde, la résistance s’organise avec Gambetta et les francs-tireurs. Marx dira a posteriori que les hésitations du 3 avril furent de nature à conduire la Commune à sa perte. Que la Section française de l’Internationale était trop faible, et bien loin de la maturité nécessaire à la construction d’un parti prolétaire capable de prendre en charge la résistance au plan national. L’impréparation est trop souvent la vertu des actes révolutionnaires. Une anecdote est parlante, celle des banques de consignation et des domaines, toute la richesse de la bourgeoisie est concentrée là, à portée de main. Quelle magnifique otage elle ferait ! Mais la Commune refuse de s’en servir.

Qu’importe, les communards sont décidés, le 15 Mars le Comité central de la garde nationale est constitué. Une vie politique intense foisonne à l’image des nombreux conseils d’assemblées et de clubs, signes de la vitalité de cette classe ouvrière. Il faut s’unir, et éviter les outrances du centralisme. Ainsi naît l’idée de fédération. Le Comité central républicain des arrondissements finit par devenir, face au gouvernement de la Défense nationale accusé de trahir, une sorte de gouvernement populaire. Le 18 mars Thiers tente de faire enlever les canons de Montmartre et de Belleville fort maladroitement : Paris se soulève ! le gouvernement provisoire affolé, Thiers donne l’ordre de repli général sur Versailles. Le 19 mars le Comité central installé à l’Hôtel de ville annonce des élections pour doter Paris d’un conseil de la Commune. Le 23 mars la Commune s’installe à Marseille, le 24 à Narbonne, Saint-Étienne, Toulouse, le 26 au Creusot. Le 28 mars, proclamation de la Commune de Paris. La perfidie de Thiers est sans borne, il annonce le 1er avril la composition d’une “des plus belles armées“ que la France ait connu, pas pour combattre les Prussiens bien sûr ! Le gouvernement Thiers massacre à tour de bras, exécute les otages et force la Commune qui depuis sa création gouverne par décrets, à en promulguer un dans ce sens.

Le 17 mars, Blanqui a été arrêté. Mgr Darboy est détenu par la Commune et on voudrait l’échanger contre Blanqui. C’est un de ses plus fidèles amis, le Varois Benjamin Flotte, qui se charge de l’opération, mais il échoue. Thiers se moque des otages, son secrétaire déclare “les otages ! les otages tant pis pour eux”. Seraient-ils plus utiles morts ? Et surtout, Thiers craint l’influence politique et organisationnelle qu’exerce Blanqui sur la classe ouvrière. Pour l’heure, la révolution bat son plein, Paris est isolée, pourtant la Commune continue son action : fondation de l’Union des femmes le 11 avril, le 20 suppression du travail de nuit des ouvriers boulangers, le 22 création de boucheries municipales, le 26 les Francs-Maçons rejoignent la Commune, le 24 suppression des amendes, 1er mai création du Comité de Salut public, le 17 décret sur les pensions, il y a une continuité révolutionnaire dans les réformes concernant le clergé. Contrairement à 1793, les biens de celui-ci ne sont pas confisqués, au moins dans les faits, mais un décret supprime le budget des cultes (cette volonté traversera le temps, trouvera une conclusion en 1905 avec la loi de séparation de l’église et de l’état proposé par d’Aristide Briand).

Quelques faits marquant diaprent la Commune : comme la guillotine au bûcher, ou la démolition de la colonne Vendôme… On pourrait penser que la Commune se renforce, hélas, il n’en est rien. L’impréparation militaire est manifeste, le 2 avril les Versaillais attaquent, repoussent les Parisiens, en fusillent cinq au Mont-Valèrien. La Commission Exécutive se réunie alors, hésite. Les Parisiens sont sous le choc, personne ne croyait l’agression possible ! Tergiversations, et manque d’encadrement militaire ont raison de la contre-attaque Parisienne. Menée le 3 avril par le brave mais trop romantique Gustave Flourens, qui le paiera de sa vie, elle est un tournant tragique dans cette histoire. Bien que la résistance des Communards soit admirable, le 21 mai la Porte de Saint Cloud tombe, les Versaillais sont dans Paris ! Tout va très vite : le 27 les ultimes combats à Belleville, au Père-Lachaise et aux Buttes-Chaumont, la dernière barricade tombe rue Ramponneau le 28 à 14 heures. Marx écrit l’adresse à l’Internationale sur La guerre civile en France. La conclusion est tragique, des milliers de morts, de déportés, d’emprisonnés ; femmes, enfants et vieillards périssent. Les trois principaux charniers à l’intérieur de Paris sont au Luxembourg, à la caserne Lobau et au cimetière du Père-Lachaise.

En 1876, l’ancien communard Prosper-Olivier Lissagaray estime de 17000 à 20000 le nombre des fusillés. La bourgeoisie a vaincu au prix du déshonneur. Elle tente de discréditer les Communards pour justifier son infamie, en utilisant les statistiques du général Appert. L’étude de Lissagaray en dévoile l’hypocrisie. Elle démontre aussi que les barbares ne sont pas ceux que l’on croyait. 150 ans plus tard, on ne peut toujours pas apporter la moindre affirmation sur le nombre exact de morts ! Ce fût “la semaine sanglante“.

Le 23 mai 1880 a lieu la première commémoration au mur des Confédérés. Lissagaray voit dans la Commune “la plus haute marée du siècle“, annonciatrice des “révolutions inévitables“. Il écrit : “Vous avez lutté contre la commune, et qui avez-vous compris ? C’est la révolution qui commençait, et vous avez cru voir la fin du monde […]“ ; Pour répondre aux accusations de complotisme, il décle : “Que les travailleurs reçoivent un mot d’ordre, que les émissaires secrets vont fomentant les grèves ! Vous n’avez donc jamais mis les pieds dans une usine, dans une mine, dans un atelier ? Vous ignorez donc que moyennant un salaire journalier, le maître traîne après lui son troupeau d’ouvriers qu’il peut licencier à son gré ? Mais nos émissaires, ce sont les heures de travail interminables, les patrons avides, les chômages, les misères du foyer. Voilà les conspirateurs“.

Ne cherchez pas d’épilogue, il n’y en a pas. Il n’y en a pas plus dans le Paris en feu raconté par Zola qu’aujourd’hui. Et ce n’est pas le « Bonapartiste » Emmanuel Macron qui dira le contraire. Les français sont “nostalgiques de l’ancien régime“ écrivait-il ? les Gilets Jaunes ont répondu, le peuple a répondu, nous ne sommes pas nostalgiques de la précarité et du chômage. Quand finira la Commune ? Jamais, ou du moins pas tant qu’il y aura des inégalités sociales, pas tant qu’il y aura des agioteurs et des accapareurs. La Commune de 71, loin d’être la fin a été et reste encore aujourd’hui un message d’espoir. Un temps oublié, enseveli sous le lourd manteau glacial des duplicités bourgeoises. Le printemps reviendra, le temps des cerises aussi. Debout, debout ! Dans la rue nous réglerons cela.

La Commune de Paris échoua. Tout le chemin du socialisme dans ses luttes révolutionnaires est couvert de défaites. Et, cependant, cette même histoire nous conduit pas à pas, sans arrêt, à la victoire finale.”
Rosa Luxemburg.

Les vaincus d’aujourd’hui seront les vainqueurs de demain. La défaite est pour eux un enseignement. Pour les forces latentes et vivantes de la Révolution sociale, une défaite est un coup de fouet.”
Karl Liebknecht.

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