Le site de l'Assemblée Populaire du Grand Toulon

Boîtes à outils, Publications de l'APC

Contre la désinformation, une boîte à outils

L’ APC ouvre une boîte à outils destinée à mieux se dépêtrer du cloaque informationnel.
Comment fonctionnent les médias, quels sont leurs invariants, quelles sont leurs limites ? (chapitre I)
Quel crédit donner à la parole scientifique ? (chapitre II)
Qu’est-ce que le complotisme ? Quelle est sa mécanique ? (chapitre III)

Chapitre I- Information et médias
Chapitre II- Désinformer au nom de la science
Chapitre III- Le complotisme


Lire aussi : Contre la désinformation, une motion de l’APC (19/11/2020).


Chapitre I- Information et médias

1- Il n’y a pas d’information ou de réalité alternatives, mais il existe bel et bien des médias offrant une alternative aux médias dominants, par les choix des sujets traités ou la façon de les traiter.

2- Ce n’est pas parce qu’on participe à la médiatisation d’informations qu’on fait du journalisme. Être journaliste implique qu’on respecte (entre autres) une charte d’éthique professionnelle. N’étant pas journalistes pour la plupart, les éditorialistes, experts et autres ronds-de-cuir des plateaux télé ne semblent pas toujours très concernés par la déontologie du journalisme.

3- La neutralité et l’objectivité n’existent pas. Dans le meilleur des cas, elles restent une perspective, un but à atteindre. Tous les médias diffusent de manière plus ou moins revendiquée une certaine idéologie, y compris les journaux dits de référence (comme Le Monde). Il convient de savoir où on met les pieds. Cela ne valide ou n’invalide pas forcément le propos, mais stimule la vigilance.

4- Il est possible que les chaînes de Radio France ou France Télévision, en tant que structures d’État, servent moins le service public que la propagande d’État.

5- Il est certain que les chaînes privées défendront toujours les intérêts industriels de leurs propriétaires.

6- La première désinformation est la non-information. Un journal (presse, télé, radio) est un objet fermé sur lui même (par une durée ou nombre de pages prédéfinis). Le comité de rédaction choisit les sujets à traiter en les hiérarchisant. Il décide donc aussi, en creux, des sujets qu’il n’a pas envie de traiter.

7- Nous avons toutes et tous tendance à privilégier les informations qui vont dans le sens de nos idées préconçues. On appelle ça le “biais de confirmation”. Les premiers à s’y confronter sont les journalistes, tentés parfois de tordre les faits pour valider leurs a priori.

8- Les chaînes d’info en continu désinforment plus que n’importe quel autre média dominant, en privilégiant le buzz et en se reniflant les fesses dans une surenchère stérile. Parce qu’il est assez rare qu’une situation, quelle qu’elle soit, évolue minute après minute, les chaînes d’info en continu répètent sans arrêt la même chose en donnant le tempo de l’obsession du jour, comme un sinistre mantra, au bénéfice de l’émotion, et au détriment d’une appréciation raisonnée des faits.

9- L’émotion contrarie l’exercice de l’esprit critique. Emballer un discours dans des images choc et une musique dramatique relève du cache-misère. Autrement dit, la pertinence d’un argument est inversement proportionnelle aux superlatifs employés. Si la cause est correctement argumentée, pas besoin d’en faire des caisses.

10- Les “experts” invités des émissions télé ou radio, qu’on retrouve régulièrement aux mêmes postes pour commenter n’importe quel sujet, meublent et distillent l’idéologie de la chaîne à faible coût. Garder à l’esprit que leurs piges coûteront toujours moins cher à leurs employeurs que les CDD d’authentiques journalistes enquêtant sur le long terme.

11- Ne jamais prendre au sérieux les individus qui, à longueur d’antenne, répètent qu’on les “baillonne“, et qu’en France, “on ne peut plus rien dire“.

12- Se méfier des arguments dits “d’autorité”. La cravate et la blouse blanche, ça en jette. Mais les gens qui utilisent un vocabulaire soutenu peuvent très bien raconter des âneries, avec toute l’arrogance du diplômé. Parfois même, on ne comprend rien à ce que ces gens racontent, et on se dit que c’est forcément très intelligent. Mais ce n’est pas forcément le cas. Sur le même principe, ce n’est pas parce que je suis admis sur un plateau télé que ma parole devient de facto plus intéressante que celle de ma voisine restée de l’autre côté du poste.

13- Ce n’est pas parce qu’une parole n’est pas médiatisée qu’elle n’est pas digne d’intérêt. Les médias audiovisuels, en particulier, sont peu friands d’énoncés complexes, irréductibles à un clash et quelques bons mots, nécessitant un temps long sans plage publicitaire pour se déployer correctement, en nuances et subtilité.

14- Ce n’est pas parce qu’une parole n’est pas médiatisée qu’elle est digne d’intérêt. Si Tartempion a été banni des plateaux télé ou qu’il n’y a jamais été admis, cela ne veut pas forcément dire que sa parole dérange. La plupart du temps, c’est seulement parce que les médias n’y trouvent pas leur intérêt.

15- Si on défend l’intégrité et l’honnêteté intellectuelle, il convient d’être intègre et honnête. Un documentaire “alternatif” qui, s’opposant à des médias majoritaires supposés corrompus, utiliserait les mêmes trucages et duperies que les médias majoritaires, n’est pas digne d’intérêt.

Chapitre II- Désinformer au nom de la science

1- La science n’est ni pure, ni neutre. La recherche scientifique est soumise aux intérêts industriels ou étatiques. Le débat scientifique est tordu par les rivalités de laboratoires et les perspectives de carrière. La figure du savant conserve pourtant sa popularité, auréolé de vertu et de probité, médecin ou universitaire qu’on imagine œuvrant pour le bien public à l’abri de toute forme de corruption. La pandémie aura sans doute permis de nuancer cette perception, mais il n’empêche : c’est autour de cette figure idéalisée que se joue toute la désinformation au nom de la science.

2- La démarche scientifique se structure autour de méthodes et de protocoles rigoureux. Une “vérité scientifique” est établie comme telle sur consensus des chercheurs et spécialistes, et elle s’inscrit toujours dans un cadre bien défini. Il s’agit d’une élaboration collective, personne ne conclut sur la vérité tout seul dans son coin. Se réclament parfois de la science des personnes qui, malgré leur blouse blanche et le jargon qu’elles emploient, se tiennent à l’écart des méthodes et des protocoles. Leur parole ne tient donc pas de la science, mais de l’escroquerie : on ne peut pas invoquer la science pour affirmer n’importe quoi, sauf à vouloir tromper l’auditoire.

3- Les découvertes et débats scientifiques avancent à l’appui d’articles publiés dans des revues spécialisées. Mais le fait qu’un “scientifique” se gargarise de ses propres publications n’est pas gage de qualité. Il existe en effet des centaines de revues dites prédatrices, à l’intitulé pompeux, prêtes à publier n’importe quelle ânerie dans les plus brefs délais à partir du moment où l’auteur paie. Les revues scientifiques dignes de ce nom disposent de comités de lecture spécialisés, attentifs aux biais cognitifs et expérimentaux. Quand un individu se fait mousser, il convient donc de s’intéresser à la rigueur et la réputation de la revue impliquée.

4- Ce n’est pas parce qu’un individu se présente comme un professeur et se réclame d’une spécialité dont l’intitulé se termine en -logie ou -pathie que sa pratique a quelque chose à voir avec la science. Il n’existe pas de science “alternative” ou “parallèle”. Il existe seulement des protocoles admis sur le long terme, caractérisés par leur rigueur, leur reproductibilité, leur résistance à la mise à l’épreuve, qui seuls permettent d’envisager un consensus scientifique. Exemples de “disciplines” ne faisant pas consensus, et ne pouvant donc pas se réclamer de la science : homéopathie, naturopathie, numérologie, chromatothérapie (soin par les couleurs), lithothérapie (soin par les pierres) etc.

5- La science admet les effets de la stimulation psycho-physiologique : si on arrive à me convaincre que telle potion est susceptible d’avoir un impact sur ma santé, ma santé peut réellement se trouver affectée par l’ingestion de cette potion même si celle-ci est parfaitement inerte. Dans sa version positive, on parle d’effet placebo. Dans sa version négative, on parle d’effet nocebo. Cela n’autorise nullement à affirmer que la potion ingérée est un médicament (ou un poison). Ce principe s’applique aussi aux objets.

6- Les charlatans ne sont pas les seuls à malmener la méthode scientifique. Elle peut aussi être la cible de géants industriels. On sait par exemple que Monsanto a rémunéré d’authentiques scientifiques pour vanter les vertus du glyphosate à travers des arguments préalablement rédigés par ses propres services, et contrarier l’avis scientifiquement argumenté du Centre International de Recherche contre le Cancer. On sait aussi que l’industrie du tabac a essayé d’instiller le doute vis-à-vis d’un autre consensus scientifique, celui qui établissait la nocivité du tabagisme passif. Enfin, il est avéré que l’industrie pétrolière a largement motivé le climato-scepticisme. D’une manière générale, ces grosses boîtes sont vent debout contre le “principe de précaution” parce qu’il freine le business. Évidemment, elles disposent d’une force de frappe culturelle et financière leur permettant de se parer des atours de la vertu et de noyauter nombre d’agences nationales ou internationales, en distordant les ressorts de la rationalité et en tentant de redéfinir les vérités scientifiques à leur avantage. Il est particulièrement difficile de démêler l’écheveau quand on n’est pas spécialiste. Plus que dans d’autres domaines encore, il faut du temps et de la persévérance pour aller à la racine de l’information et confronter les sources…

Chapitre III- Le complotisme

1- Je ne suis pas complotiste au seul motif que je pense que des complots existent. Je suis complotiste si j’utilise la thèse du complot pour tenter de raccorder tout ce que j’ai du mal à comprendre.

2- Le complotisme est une grille de lecture réductrice et fantasmée du monde. Il vise à balayer sa complexité en abusant de trois déterminants : le secret, le mensonge et la malveillance. Ils nous cachent des choses, Ils nous veulent du mal, suivez mon regard.

3- Le complotisme peut avoir ceci de satisfaisant qu’il apporte des explications faciles d’accès et prêtes à l’emploi. En cela, il ne s’oppose absolument pas au conformisme majoritaire, qui consiste à déléguer toute réflexion aux élus et experts qui nous gouvernent.

4- Le complotisme prétend éveiller les consciences. Il y a les comploteurs, ceux qui connaissent les intentions des comploteurs, et les autres. Les complotistes partagent les mêmes schémas de pensée que leurs pseudo-adversaires, qui occupent les postes décisionnels et entendent aussi faire de la “pédagogie” sur les sujets qui leur tiennent à cœur. Dans les deux cas, on fait œuvre de propagande.

5- Peu de gens admettent qu’ils sont complotistes. Le mot “complot” n’est pas très bien vu. En particulier à cause de toutes les horreurs historiquement perpétrées en son nom. La bipolarisation du monde qu’offre le complotisme (d’un côté les méchants fourbes, de l’autre les gentils bien trop naïfs) permet de dresser les individus les uns contre les autres. À la base du génocide rwandais, il y a le récit d’un “complot Tutsi” visant les Hutus. En réaction, les Hutus s’en prennent aux pseudo-comploteurs. Bilan : un million de morts. On connaît aussi Les protocoles des sages de Sion, un texte inventé de toutes pièces par les services secrets du tsar au début du XXe pour faire croire que juifs et franc-maçons manigançaient un plan de conquête du monde… On connaît la suite (environ 6 millions de morts).

6- Peu de gens admettent qu’ils sont complotistes, tout simplement parce qu’ils ne s’estiment pas complotistes.

7- Le mot “complotiste” est à ce point mal vu que certains lui préfèrent le terme “lanceur d’alerte”, ce qui n’est pas très gentil pour les (vrais) lanceurs d’alerte qui risquent leur vie pour révéler des faits, tandis que les autres ne révèlent que leurs propres psychoses.

8- Entre autres paralogismes (raisonnements faux qui apparaissent valides à leurs auteurs), les complotistes ont une fâcheuse tendance à confondre causalité et corrélation, en se focalisant sur le cui bono (“à qui profite le crime ?“). Mais ce n’est pas parce que des entreprises et des individus profitent objectivement de la crise qu’ils sont à l’origine de la crise. On parle alors d’effet d’aubaine.

9- Le complotisme est anti-politique. Le refus de la complexité ne permet pas de correctement penser le monde, et crée des cloisonnements artificiels entre des gens partageant pourtant les mêmes galères (si tu rejettes ce documentaire c’est que tu es fou, ou alors c’est que tu es avec Eux). Ces cloisonnements artificiels servent donc le pouvoir en place, dans la mesure où ils contrarient l’émergence d’un rapport de forces susceptible de lui nuire.

10- Les documents complotistes opèrent à peu près tous de la même façon, en faisant feu de tout bois, en mélangeant le factuel et le délirant, ce qui les rend particulièrement difficiles à décrypter. On parle de mille-feuilles argumentatifs. Si ce genre de document est relayé dans une communauté, il convient que tous les membres de la communauté restent vigilants et interviennent quand ils constatent, au milieu du gâteau, un biais ou un mensonge avéré.

11- Les documents complotistes surinvestissent l’émotion et la culpabilité (voir point I-9) : “message CAPITAL“, “ceci est TROP IMPORTANT pour ne pas être diffusé“, “ILS s’en prennent à NOS ENFANTS” etc. L’adhésion ne peut être que totale, la réflexion et la nuance ne sont pas à l’ordre du jour.

12- D’où parle-t-on ? Il est important de s’intéresser à la source du document et au contexte de sa réalisation avant de le relayer ou d’en faire la promotion, pour mettre l’accent sur d’éventuels conflits d’intérêt entre l’émetteur et la cause qu’il défend de façon prétendument objective. Et aussi pour savoir dans quelle dynamique idéologique il s’inscrit, ce qui permettra effectivement de moduler la perception qu’on peut en avoir. On peut tout lire et tout voir, à condition une fois encore de savoir où on met les pieds.

13- N’oublions pas : toute information s’appuyant sur des faits ou des propos tenus par d’autres personnes doit être sourcée / documentée pour que nous puissions engager des vérifications si nous l’estimons nécessaire. En conséquence de quoi, on ne peut pas demander qu’un argument non documenté puisse faire autorité de quelque manière que ce soit.

Image : extrait de “The fin de siècle newspaper proprietor”, par Frederick Burr Opper, 1894.

Laisser un commentaire